dimanche 7 décembre 2014

Colonialisme taurin (en quelques mots)



Entrefilet paru dans

l’ABC du 5 janvier 1965

 

La vie taurine mexicaine a connu des épisodes particulièrement tumultueux.
De l’histoire qui suit, il existe presque autant de versions que de narrateurs, la confusion ayant été savamment entretenue par tous les protagonistes de l’affaire…

On est en 1964. Ángel Vázquez est à la tête de la plaza Mexico. Il est aussi apoderado de Paco Camino avec Manolo Chopera qui ne manque pas de lui vendre en lot ses autres poulains (El Cordobes, Victoriano Valencia, Fermin Murillo, etc.) que Vázquez n’oublie jamais de programmer dans son chaudron. En revanche, il semble beaucoup plus distrait quand il s’agit de payer leur dû aux subalternes mexicains qui commencent à s’en irriter sérieusement.

En parallèle, l’Union Mexicaine des Picadors et Banderilleros Mexicains lutte pour quelques autres bagatelles. Par exemple, en interne, pour désigner leur secrétaire général (ils ont fini par se mettre d’accord après diverses violentes algarades et quelques passages à tabac). Ou encore, en externe, pour obtenir les mêmes « privilèges » que les espagnols. Entendez par là que les subalternes mexicains revendiquaient le droit d’être payé au même tarif que les subalternes européens : embauchés en qualité de troisième banderillero dans les cuadrilles des matadores espagnols, ils demandaient à être payés au même tarif que les deux premiers.

Or, au moment du renouvellement de l’Accord Collectif entre les différentes instances du mundillo international, la Unión Mexicana de Picadores y Banderilleros exige que la dette contractée à l'égard de ses adhérents par l’empresa de la Monumental soit  précisément mentionnée dans le texte. Le sieur Vázquez refuse et assure lâchement ses arrières avec une clause disposant que l’accord signé prévaudrait sur toutes querelles d’ordre privé ou syndical.

Les  turbulents subalternes avaient certes une manière virile et peu reluisantes de régler leurs différends en interne mais ils savaient être solidaires quand il s’agissait de défendre leurs droits face au reste du monde.
La riposte ne se fait dès lors pas attendre : la Unión se met en grève jusqu’à ce que l’Accord soit rompu. Comme les subalternes espagnols sont tenus d’adhérer à l’Union Mexicaine lorsqu’ils travaillent en terre aztèque (l’inverse est également vrai quand les mexicains sont en Espagne), ils sont contraints à la grève par capillarité.
 
Les premières courses de la Temporada Grande ont donc lieu avec des matadores accompagnés de cuadrillas composées de… novilleros !

Le ménage Vázquez-Chopera contre-attaque en faisant appel à des « cuadrillas libres », ce qui en langage populaire signifie « libres de ne pas leur causer de tracas avec les exigences saugrenues du Syndicat » et c’est ainsi qu’est annoncé le cartel du dimanche 3 janvier 1965 : 6 toros de Javier Garfias pour Joselito Huerta, Victoriano Valencia qui confirme, y Jaime Rangel.

Ignacio Navarro Rios "El Jitoatero",

outré par la riposte des granaderos

envers les membres de la Unión

Monumental Plaza México - Le 3 janvier 1965

Pour la Unión, c’en est trop. Cette course ne doit pas avoir lieu.
Lorsque Gabriel Márquez, piquero espagnol de la cuadrilla de Victoriano Valencia, entre pour piquer le premier toro, Felipe Bedoya “El Hielero” et Antonio Martinez “La Cronica”  se jettent  en piste et désarçonnent le traitre. Pendant que les granaderos (la guardia civil mexicaine) se chargent de ces deux-là, Agustín Salgado “Muelon” déboule sur le ruedo avec quelques autres comparses. C’est la foire d’empoigne et les représentants de l’ordre laissent s’en donnent à cœur joie.

Après la prison, c’est l’heure des tractations. Mieux vaut ne pas s’appesantir sur ces dernières si l’on tient à conserver ce qu’il nous reste de foi en la nature humaine…

Gabriel Márquez n’a pas piqué ce jour-là, mais l’Accord n’a finalement jamais été rompu.

Zanzibar

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