vendredi 2 octobre 2015

Une certaine idée de l'Espagne

Lorsque Debussy a écrit La Soirée dans Grenade, il n’avait jamais foulé la péninsule ibérique. En fait il a écrit toute sa musique espagnole sans y avoir jamais mis les pieds, sauf une fois, à la fin de sa vie, où il serait allé assister à une corrida à Saint Sébastien.
En 1920, Manuel de Falla himself écrivait : « Dès maintenant je veux dire très haut que si Claude Debussy s'est servi de l'Espagne comme base de l'une des plus belles parties de son œuvre, il a si largement payé sa dette que c'est l'Espagne, maintenant, qui reste sa débitrice. »

1864 - Le Charivari - Cham -

Mais Debussy n’est pas le seul grand artiste à s’être inventé une authentique Espagne par la seule évocation des livres, des images, des chants et des histoires racontées par les voyageurs et les exilés…

Lorsque Manet a peint Épisode d’une course de taureaux, lui non plus n’avait encore jamais passé les Pyrénées. Il est vrai toutefois que l’œuvre initiale n’a pas eu immédiatement le succès escompté. Exposé au Salon de Paris de 1864, le tableau représente au premier plan un homme gisant au sol et, au second plan, en une invraisemblable perspective, un toro ridiculement petit, trois toreros et le public. L’homme à terre est vêtu d’un costume noir (n’oublions pas que Manet n’ira en Espagne et ne verra son premier costume de lumières qu’en 1865) mais il est à n’en pas douter torero : il tient un capote de la main gauche. La fadeur des teintes utilisées et l'irrespect des proportions mis en lumière par le toro miniature vaut au grand peintre la risée des critiques et de féroces caricatures (alors qu'il n'était rien moins que très en avance sur son temps). Edmond About a parlé d’un « toréador de bois tué par un rat cornu» et les caricaturistes s’en sont donné à cœur joie.


1864 - Le Journal Amusant – Bertall -

Les « Joujoux espagnols accommodés 

à la sauce noire de Ribera par

Don Manet y Courbetos y Zurbaran de las Batignolas »

Manet est en outre accusé de pastiche. Théophile Thoré, un journaliste, critique d’art, et sarthois par-dessus le marché, va même écrire dans son compte-rendu du Salon que « la figure du torero mort est audacieusement copiée d'après un chef-d'œuvre de la galerie Pourtalès, peint par Vélasquez ». 

Baudelaire, ami fidèle s’il en est, défendra énergiquement le peintre et n’hésitera pas à répondre à ce Monsieur Thoré :
« Monsieur Manet que l’on croit fou et enragé est simplement un homme très loyal, très simple, faisant tout ce qu’il peut pour être raisonnable, mais malheureusement marqué de romantisme depuis sa naissance. Le mot « pastiche » n’est pas juste. Monsieur Manet n’a jamais vu de Goya, Monsieur Manet n’a jamais vu de Gréco. Monsieur Manet n’a jamais vu la Galerie Pourtalès. Cela vous paraitra incroyable mais cela est vrai ».

Manet tiendra une resplendissante « vengeance » sur ses détracteurs en découpant en deux cet Épisode d’une course de taureau et en retravaillant les deux fragments de la toile originelle de manière indépendante.
La partie supérieure du tableau est désormais exposée à la Frick Collection (New York) sous le nom de « La Corrida ».
Le fragment du bas avec le torero à terre est aujourd’hui connu sous le titre « Le Torero Mort ». Il est exposé à la National Gallery of Art de Washington.

Zanzibar




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